mercredi 23 février 2011

L'art de se faire ramasser avec raison

J’ai tapé sur un gros arbre jusqu’à ce que je ne sente plus mes mains. J’aurais sans doute continué jusqu’à ce que mort s’ensuive, façon de parler, mais mon ventre m’a rappelé que je devais manger. Ne m’en veut pas Sigma, mais j’ai besoin de faire ça. Foutue épreuve de merde de… Par pitié, ne raconte rien à ton père. Ça serait vraiment la honte totale. Pour la première fois, je suis heureuse que Kaïtos ne soit pas là. Je ne crois pas que je pourrais supporter sa brutale honnêteté en ce moment.

Je suis retournée dans le village pour manger mes émotions et après j’ai demandé à quelqu’un de m’indiquer l’emplacement de la rivière et j’y suis partie pour me laver. Je n’ai pas osé regarder qui que ce soit dans les yeux tellement j’avais honte de moi et tellement j’avais peur de voir aussi cette honte dans les yeux des autres.

À la rivière, j’ai enlevé toute la boue que j’avais dans les cheveux et tous les signes de protection qui étaient dessinés sur moi. Signes de protection mon c… œil. Ils n’auraient pas pu me dessiner des signes de bonne fortune à la place? Mais chanceuse comme je suis, ils m’auraient sans doute nui plus qu’autre chose et je me serais encore plus humiliée. Saloperie d’épreuve.

J’ai aussi remis mes propres vêtements. Les habits en feuilles étaient bien jolis, mais ils ne cachaient rien du tout. Mais mon ventre de femme enceinte m’a dispensée de toute tentative de séduction. Ce n’est pas que je m’en plaigne, mais je crois que ça n’aurait fait aucune différence si j’avais été totalement invisible. Ça fait longtemps qu’on ne m’a pas regardée…

Je suis retournée taper sur un arbre. Le premier avait un trou assez gros comme ça. Il ne faudrait pas qu’en plus je me fasse accuser de tuer des arbres! J’ai fini par arrêter quand il a fait complètement noir. Ce n’est pas que ça m’empêchait à quoi que ce soit, mais j’avais besoin de me reposer, pas pour moi, mais pour Sigma.

Ça n’aurait pas été super brillant de rester dehors, alors je suis retournée dans le village. C’était la fête. Qu’est-ce qu’il y a à fêter déjà? Ah oui, le retour de la princesse… qui a précédé de peu mon échec… Personne ne m’a remarquée, ni les villageois, ni Laurian et Arzhvael qui partaient en panique pour je ne sais quelle raison. Mais c’est mieux comme ça, non?

J’ai demandé à Astaroth si nous avions une tente où dormir. Il me l’a indiquée d’un coup de tête. Les seuls qui restaient étaient Raïko, qui lisait, et Callystus, qui dormait collée sur lui. Euh, qu’est-ce que j’ai manqué? J’ai ignoré Raïko, qui me l’a bien rendu, et je suis allée me coucher dans un coin.

Le lendemain (rendue à 128 jours), un grondement (d’estomac) qui aurait pu réveiller un mort m’a forcée à ouvrir les yeux. Je ne sais pas ce que je ferais si je ne l’avais pas pour me rappeler à l’ordre. Il y avait seulement Callystus et Gale dans la tente. Tous les autres avaient disparu. Quelques cuisses de brontosaure plus loin et je suis sortie dans le village pour aller poser des questions. Mes compagnons avaient été vus la veille au soir, mais personne ne savait où ils étaient partis. J’ai fini par apprendre par le garde à l’entrée qu’Arzhvael et Raïko étaient sortis hier, pour aller mourir. D’accord, si tu le dis…

Finalement, nous avons appris de Samaël qu’ils étaient rendus dans l’arbre. Vous savez, l’arbre… De tous les arbres, il fallait qu’ils choisissent celui-là, le seul où je ne pouvais pas aller. Rien que d’y penser, j’avais peur. Comme la Massawimmick m’a dit après que je sois allée l’informer de l’escapade de mes compagnons, j’avais encore l’esprit trop troublé. Merci de me le rappeler. Et merci de me rappeler ma foutue épreuve de…

La princesse des Massawimmicks m’a demandé de garder espoir et elle m’a glissé quelque chose entre les mains. C’était une feuille faite de feuilles d’arbre avec… de très jolis dessins dessus. Callystus m’a dit que c’était une carte avec différentes entrées pour accéder à l’arbre. Mais moi je n’étais pas prête à y aller. Mais avais-je le droit de faire attendre mes compagnons? Si l’arbre décidait de s’en débarrasser pendant que je réfléchissais… Je devais agir vite, mais si j’agissais trop vite, ça pourrait être la fin pour moi et la perte définitive de mon arme.

Callystus a essayé de me faire comprendre pourquoi j’avais failé mon épreuve. Je dois avouer que l’image de mère nature était plutôt intéressante, mais je n’avais pas l’intention d’aimer toutes les créatures. Je déteste certaines personnes bien particulières et si je pouvais les summoner, je les ferais souffrir avec plaisir. En ce moment, j’aurais bien envie de tabasser sans amour Samaël, qui a l’air de se foutre de ma gueule à chaque fois que je parle.

Callystus m’a alors donné un très bon argument : et si un des dinosaures était un parent6 S’il avait laissé des enfants derrière? Ooh… Et moi qui les a tous sacrifiés sans une seconde pensée… Je commence à me sentir coupable. Samaël a dit que je le devrais. Mais de quoi tu te mêles?

Il a utilisé un cruel exemple pour me faire comprendre ce que j’avais fait de mal. Il a contrôlé une fillette et il l’a fait monter en haut d’une tour jusqu’à ce qu’elle soit sur le rebord. Il m’a demandé quelle était la différence entre la vie de la fillette et celles des créatures que j’avais sacrifiées. Mais elle c’est une enfant innocente… Il m’a reposé la question et j’ai fini par comprendre : il n’y en avait pas. Entre mes mains, une vie était une vie.

Samaël a été plus loin. Il a dit que j’étais quelqu’un de dangereux. Il a même osé dire que je m’étais montrée cruelle, comme ma famille l’aurait été. Ça, ça a fait plus mal que tout le reste. Qu’est-ce que j’aurais pu lui répondre? Je savais qu’il avait raison et c’était bien ça qui faisait mal. Toute ma vie, je m’étais battue d’une façon ou d’une autre pour éviter de leur ressembler. Toute ma vie, j’avais essayé de nier l’existence de cette partie de moi que je tenais d’eux. Mais elle était bien là, elle l’avait toujours été et elle le serait toujours. Parce que même si je penchais du côté du bien, je n’aurais qu’un pas à faire pour basculer…

Pour moi le choix était clair : je ne voulais pas devenir un tyran. Samaël m’a dit que j’allais quand même en devenir un. Il faudrait peut-être que tu te branches! Je ne dois pas devenir un tyran, mais je vais quand même en devenir un? Ça c’est encourageant. Je crois que je préfères la méthode de Kaïtos…

Nous sommes partis Callystus, Gale, Samaël et moi pour l’arbre. Nous sommes tombées sur Tania à l’entrée. Elle allait bien, dieu merci. Nous sommes tous entrés et Tania a dit qu’elle sentait une présence mis à part celle de Totem. L’esprit de l’arbre peut-être? Ou peut-être s’agit-il de l’esprit de ce gros basilic, pas du tout sympathique, qui nous barre la route? J’espère que je ne me ferai pas encore accuser de ne pas avoir respecté la vie…